Au cours de mon enfance difficile, j'ai la chance d'avoir une mère qui, ayant beaucoup souffert d'un père extrêmement autoritaire, se bat pour me scolariser à l'école Decroly (médecin et pédagogue contemporain de Freinet et Steiner). Dans cette école, la créativité occupe une place essentielle : ateliers manuels, ateliers de peinture et de dessin, théâtre, écriture de textes, présentations orales sur nos sujets de recherche.
A la maison, la créativité est pour moi un pansement sur mes blessures presque quotidiennes, une respiration alors que j'étais proche de l'asphyxie. Je fuis aussi dans mon imaginaire nourri par des jeux de rôles et de multiples lectures.
A l'âge de 15 ans, nous déménageons et je change d'école. Je me retrouve dans un collège jésuite où petit à petit la source de ma créativité se tarit. Ne reste que l'évasion dans l'imagination.
Au moment du choix de mes études supérieures, je veux m'inscrire aux Beaux-Arts en dessin. Mes parents s'y opposent catégoriquement. Je fais des études de droit et de notariat pour me conformer à leur désir et être aimée.
Pourtant, les graines ont été semées, graines de créativité mais surtout graines d'audace. Oser essayer, fabriquer, parler, écrire, peindre, dessiner, être sur scène. En pleine crise de vie, mes graines d'audace germe rapidement. Je pars en voyage pendant un an du Népal à Moscou en passant par toute l'Asie du Sud-Est, la Chine et en rentrant par le transsibérien.
Après mon retour, je suis rattrapée par les attentes familiales et je travaille comme juriste dans deux études notariales pendant plusieurs années. Je travaille aussi comme assistante à l'université en licence en notariat et j'écris un livre. Mais, j'étouffe malgré ma "réussite" et je me vois mourir à petit feu à la perspective de reprendre l'étude notariale familiale. Toutes les blessures de mon enfance continuent de me sauter à la figure. Un travail thérapeutique me permet finalement de quitté la sécurité et de commencer les Beaux-Arts en sculpture tout en travaillant encore comme assistante à l'université.
Je peux dire que l'art m'a sauvée dans mon enfance puis aux Beaux-Arts et enfin grâce à toutes les formations que j'ai faite où l'expression créative est au centre de la proposition : art-thérapie, autolouange, biodanza, jeu de peindre.
Mon travail artistique a toujours été intimement lié aux questionnements, difficultés et aspirations de ma vie personnelle.
La féminité a été longtemps au centre de mon travail, un travail d'abord "thérapeutique".
Petit à petit, mes créations ont glissé vers des techniques qu'on pourrait classer comme "féminines" : "cuisiner" des papiers végétaux, coudre, "tisser" du rotin.
Avec ces changements de technique où j'intégrais une féminité positive pour moi, j'ai cherché à traduire dans mes oeuvres ma quête de plénitude et d'unité : le dépassement de la dualité (soleils noirs et le troisième terme), l'intégration du féminin et du masculin, mon pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.
Mon travail a très rapidement eu un caractère méditatif (rotin et papiers végétaux). Il est devenu pour moi une pratique "spirituelle" où je plonge dans l'instant présent, au centre de moi-même.
La recherche d'un langage universel, proche du vivant, m'habite aussi depuis longtemps. Mes dessins organiques en sont le reflet. Ils sont une autre pratique méditative où, plongée dans le présent, je me laisse traverser par plus grand que moi.
J'ai un temps traité ma création artistique comme ma carrière dans le notariat avec un besoin de reconnaissance et de réussite. J'ai participé à de nombreuses expositions et obtenus divers prix. Le milieu de l'art est aussi un milieu de jeux de pouvoir et d'argent. J'ai finalement décidé d'en sortir.
Aujourd'hui, la créativité au sens large reste au centre de ma vie. A titre personnel, c'est une "pratique du présent" importante pour moi et j'ai co-créé le quinson, un lieu dédié à la création et à la résilience. En tant que thérapeute, c'est un bonheur de la réactiver chez les autres.